J'ai oublié de vivre

Qui ne s'est jamais dit, dans un éclair de lucidité "Mais qu'est-ce que je fous là ?", pensée aussi rapidement refoulée qu'une envie de changer de vie, de se suicider ou de gagner au loto. Mais insidieuse. Sous-jacente. Tentatives lamentables et désespérées d'échapper à un quotidien que l'on subit. Que l'on cultive. Et c'est bien ça le plus grave, le plus problématique : on cultive sa propre soumission en s'enfermant au fur et à mesure dans des cages de plus en plus exigües, sombres, sans avenir. Mais solides.

Heureusement, quelques sursauts ou quelques spasmes nous rappellent à la réalité voire à de bons moments : la famille, les enfants, les amis, la vraie vie sociale. Sans se faire piéger par ce qui est au départ un outil et qui devient finalement une raison. Une raison de croire qu'on vit.

Alors, la volonté initiale, qui était de lire, revient comme elle était apparue. Mais pas avec les mêmes outils. Revenir à l'essentiel. Etre moins con qu'à l'accoutumée. Reprendre les livres, les vrais. Sentir dans ses mains cette magnifique invention qu'est le papier, jouer d'un contact sensuel, du bout des doigts, tout en se laissant porter par le fil de la narration. En être déçu ou passionné, indifférent ou "indigné" mais la vivre. Et arrêter de prendre des messages de quelques caractères pour des commandements bibliques. Plutôt que de titiller frénétiquement et sans plaisir le clitoris rotatif de la souris pour faire apparaître sans cesse les messages anti-orgasmiques.

Je retrouve un tel goût du silence, de la concentration dans la lecture, ce plaisir délicat -parfois sadique, parfois masochiste- que j'ai à nouveau l'impression de maîtriser mon environnement, le rythme de ma vie.